par Alain Deneault et Ugo Lapointe (Respectivement professeur, auteur de « Paradis fiscaux : la filière canadienne » et cofondateur d’Échec aux paradis fiscaux ; cofondateur de la Coalition pour que le Québec ait meilleure mine et coordonnateur à MiningWatch Canada)
Alors que Québec et Ottawa prévoient des dizaines de milliards pour soutenir la relance économique et la transition énergétique, des financiers aux dents longues flairent la bonne affaire. Au premier chef : des spéculateurs miniers bien implantés dans les paradis fiscaux.
Surexcités par le boom de la demande pour les métaux devant alimenter un nombre croissant de méga-usines de batteries dans les Amériques et en Europe, plusieurs nouveaux magnats du secteur minier salivent devant les milliards en subventions qu’on agite sous leur nez.
L’un des cas les plus préoccupants au Québec est celui du groupe Pallinghurst, derrière la reprise de Nemaska Lithium et principal actionnaire privé de la minière Nouveau Monde Graphite.
Selon les données issues des Paradise Papers, ce groupe est associé à plusieurs entités enregistrées dans des paradis fiscaux notoires, dont l’île anglo-normande de Guernesey, les îles Caïmans, le Luxembourg, le Delaware et Saint-Christophe-et-Niévès.
Pour ajouter à l’opacité : les investisseurs derrière Pallinghurst sont inconnus. Le groupe a demandé de les caviarder dans les documents déposés à la Cour supérieure lors de la restructuration de Nemaska Lithium l’automne dernier.
Nos gouvernements ont déjà englouti des centaines de millions dans ces projets dont bénéficient les actionnaires invisibles de Pallinghurst. Et ils en promettent davantage.
Il est grand temps qu’un registre des bénéficiaires effectifs rende publiques les personnes qui bénéficient de telles entreprises et des manœuvres potentiellement frauduleuses qu’elles pratiquent.
Malheureusement, les nouvelles mesures que promettent Québec en 2022 et Ottawa en 2025 pour révéler l’identité des réels bénéficiaires d’entreprises pourraient être trop peu, trop tard.
Quant à la possibilité des pays du G7 d’imposer « un impôt minimum » sur les profits des multinationales, qui serait une avancée positive, on est encore loin de la coupe aux lèvres.
À ces embrouilles fiscales de Pallinghurst s’ajoutent celles environnementales. En effet, ce n’est qu’en catimini que Québec a autorisé le projet de Nouveau Monde Graphite plus tôt cette année. L’entreprise n’avait pourtant pas terminé toutes les études environnementales demandées par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement.
Le virage vert ne peut devenir une caution pour l’injustice fiscale : un dollar perdu dans un paradis fiscal est un dollar qu’on ne peut réinvestir dans la transition.
Nos gouvernements doivent combattre l’évasion fiscale sous toutes ses formes. Ils doivent revoir leurs cadres réglementaires qui, dans les faits, légalisent les recours aux paradis fiscaux plutôt que de les sanctionner.
On peut dès maintenant exiger plus de transparence et bloquer l’accès des aides gouvernementales aux entreprises enregistrées dans des paradis fiscaux.
En somme, on doit exiger des pratiques fiscales et environnementales exemplaires, des mines aux batteries, pour une transition qui soit véritablement propre, juste et équitable.
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Originalement publié dans Le Devoir