Grégory Lassale
Fin juin, le Projet d’Accompagnement Québec - Guatemala [1] (PAQG) organisait une série de rencontres sur le thème de la possible conciliation entre un investissement « responsable » et l’industrie extractive, en insistant sur la transnationale Goldcorp Inc. et en invitant Grégory Lassalle, co-auteur du documentaire : « Le business de l’or au Guatemala ».
Alors qu’au Guatemala, les mouvements de résistance commencent à récolter les fruits politiques de leurs luttes malgré la rigidité du gouvernement guatémaltèque, la rencontre avec la logique de l’actionnariat « responsable » du secteur extractif nous donne quelques clés pour comprendre la limite de leurs actions et le poids des compagnies minières dans l’économie et la diplomatie canadienne.
Augmentation des demandes internationales contre le gouvernement guatémaltèque
Après l’Organisation internationale du travail (OIT) en avril, c’est donc au tour de la Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) de demander officiellement le 20 mai, « la fermeture provisoire de la mine Marlin » en raison de la supposée pollution de la rivière Tzabal et de l’assèchement de sources d’eau qu’utilisent les communautés de San Miguel Ixtahuacan et Sipakapa. En juin, le rapporteur des Nations unies sur les populations indigènes demandait à Alvaro Colom de rendre effective cette demande de la CIDH. Le gouvernement guatémaltèque, après avoir dit qu’il suspendrait la mine Marlin et respecterait ainsi ses compromis internationaux en matière de droits humains, vient de se rétracter et a déclaré que la mine ne polluait pas et que la santé des habitants n’était pas mise en danger par les activités d’extraction. Le gouvernement Colom semble ainsi vouloir se protéger politiquement en évitant une confrontation directe avec le secteur économique et en préférant négocier avec Goldcorp Inc. la mise en place de timides mesures de contrôle.
Pendant ce temps, la situation sociale continue de se dégrader à San Miguel. Preuve en est la tentative de meurtre par balle le 7 juillet sur la personne de Diodora Antonia Hernandez, membre du groupe en résistance contre la mine, alors qu’elle était dans sa maison avec sa fille. La situation de menaces et intimidations, de destruction du tissu social et d’impact sur l’environnement à San Miguel n’est malheureusement pas un cas isolé : il n’existe pas un projet minier sans que ces phénomènes se produisent.
Cet état des lieux a poussé certains actionnaires, les fonds de pension gérant les retraites de travailleurs, à développer des stratégies de dialogue avec les compagnies. Mais quel est le réel impact de ces fonds de pension auto-proclamés « responsables » ou « éthiques » sur la vie des populations autochtones affectées par un projet minier ?
À Montréal, dans une salle de l’Université du Québec, un gestionnaire de portefeuille en investissement responsable (IR) nous en explique la logique : L’IR est une notion qui serait née au 16ème siècle de la volonté d’actionnaires des compagnies d’améliorer les conditions de travail dans les colonies. Même s’il n’a jamais bénéficié d’un véritable label (il n’existe que des principes), l’IR est un mécanisme utilisé par les actionnaires d’une entreprise afin que cette entreprise développe des conduites conséquentes en matière de gouvernance (conflits d’intérêts), de respect de l’environnement et de pratiques sociales. Les gestionnaires « éthiques » de portefeuilles justifient l’importance de leurs interventions « car il y a des vides juridiques qui empêchent l’État (canadien) d’avoir une expertise et un contrôle sur les entreprises ».
Dans les faits, ce sont souvent des fonds de pension « éthiques » qui espèrent produire un effet de levier sur les entreprises à travers l’échange d’informations, le dialogue, l’éventuel dépôt de résolutions lors des Assemblées générales, la création de listes noires d’entreprises et dans certains cas, le désinvestissement. Cela dit, ces fonds de pension « éthiques » reconnaissent que cette préoccupation pour les conséquences des activités des entreprises dont ils sont actionnaires n’intervient qu’après l’exigence financière : « Nous conseillons les entreprises afin qu’elles améliorent leur conduite, mais notre priorité est la rentabilité ». Rentabilité des actions investies et donc des activités de l’entreprise.
Depuis les premières plaintes des communautés de Sipakapa et San Miguel Ixtahuacan contre la mine Marlin, des syndicats ayant des fonds de pension investis dans Goldcorp, sont devenus les protagonistes d’une médiation entre les demandes des communautés et les pratiques de la compagnie. En mai 2008, lors de l’Assemblée générale des actionnaires de Goldcorp, 4 fonds de pension « éthiques »[2] déposent une résolution demandant la réalisation d’une étude indépendante d’impact de la présence de la mine sur les droits humains des populations de San Miguel et Sipakapa, résolution acceptée par les actionnaires de la Compagnie.
Cette étude « indépendante » mais paradoxalement financée par Goldcorp et réalisée par une ONG experte en consulting pour le secteur minier, On Common Ground[3], est alors saluée dans les secteurs miniers canadiens comme une initiative sans précédent afin d’améliorer les négociations avec les populations autochtones. Rapidement les choses se compliquent pour On Common Ground devant le refus d’une partie de la population de participer à cette enquête et devant le retrait, en mars 2009, du syndicat PSAC de ce processus. Deux ans plus tard, le rapport final, rédigé prioritairement en anglais, fait état d’une déficience de la gestion sociale de l’entreprise et demande à Goldcorp un « aménagement » de ses pratiques afin de diminuer la tension sociale. En aucun cas, l’étude n’envisage la fermeture de la mine et convertit finalement cette initiative en une mesure dilatoire au bénéfice de la Compagnie puisque celle-ci a extrait plus de 450 000 onces d’or depuis la résolution de 2008.
Les résultats mitigés de l’IR dans le cas de la mine Marlin, sont symptomatiques du pouvoir et de la place centrale de l’industrie minière dans l’économie et la politique canadienne. C’est à Ottawa que se trouve le siège de l’Association minière du Canada. Cette association « défend les intérêts de l’industrie aux échelons national et international ». Son rapport annuel 2009 traduit en chiffres le poids de ses compagnies membres sur l’économie nationale : « l’industrie minière canadienne c’est : 350 000 employés, 4% du PIB, 900 mines sur le territoire national, 70% du trafic portuaire, plus de 3 000 fournisseurs d’expertises aux compagnies et une place boursière, celle de Toronto (TSX), qui est devenue la plaque tournante des transactions financières minières mondiales [4]. Toronto, c’est aussi le siège des principales compagnies d’exploitation alors que Vancouver est le centre mondial de l’exploration minérale (plus de 850 sièges d’entreprises)… »[5].
Malgré la crise, les indicateurs de l’industrie extractive sont au vert : « les économies chinoises et indiennes sont très demandeuses de métaux de construction et les nouvelles découvertes mondiales de gisements peuvent facilement devenir exploitables en raison des progrès technologiques »[6]. Les investisseurs ne se trompent pas : les compagnies minières sont des valeurs sûres de placement. Les fonds de pension, eux, investissent les retraites de leurs cotisants sur ces compagnies : soit en achetant directement des actions, soit en achetant des produits offerts par des compagnies financières, composés d’actions de plusieurs entreprises minières.
L’or est un cas emblématique. La crise économique a permis une remontée spectaculaire du prix du métal jaune qui a presque quintuplé depuis 2001 : « il est aujourd’hui plus que jamais, un actif de refuge de premier choix, indispensable dans tous les portefeuilles »[7]. Dans un récent article paru dans The Globe and Mail, le président et actuel CEO de Goldcorp, Chuck Jeannes, a déclaré : « Je fais le meilleur boulot au monde »[8]. En effet, il est à la tête de la 2ème compagnie aurifère mondiale : « Les stocks de production sont en pleine expansion… La compagnie propose les coûts de production les plus bas du marché. De plus, elle possède ses mines dans des zones supposées stables politiquement (l’Amérique latine) »[9].
Une diplomatie au service des intérêts miniers
Même si la majorité des mines mondiales se concentrent toujours au Canada, les compagnies minières canadiennes prospectent de plus en plus dans les pays du sud : « À moins que l’on entreprenne de nouveaux projets d’exploration, les réserves canadiennes de minéraux clefs demeureront à un niveau dangereusement bas »[10]. D’où l’arrivée massive de compagnies en Afrique et en Amérique du Sud [11] et un réajustement de l’activité politique d’Ottawa au service de leurs intérêts. Y.E, un journaliste spécialisé dans la politique étrangère canadienne explique : « Les compagnies minières ont un besoin élevé d’appui diplomatique pour affronter la tendance des populations
locales à vouloir défendre leurs ressources naturelles… La politique étrangère canadienne utilise différents mécanismes afin de soutenir les intérêts corporatifs : pression pour la réforme des codes miniers, action de l’Agence canadienne de développement international (ACDI) et signature de Traités de libre échange ou d’Accords d’investissements afin de protéger les investissements des compagnies ». Au Guatemala, l’ambassade canadienne est montée plusieurs fois au créneau afin de défendre les intérêts de Goldcorp : invitation de députés guatémaltèques à Toronto afin de participer à des forums sur l’industrie extractive, invitation de leaders autochtones canadiens pro-mine afin de « dialoguer » avec les représentants mayas, prise de position dans la presse, etc.
Bénéficiant historiquement d’une fausse image de « peace keeping », la diplomatie canadienne continue d’appuyer ouvertement son secteur minier, un des principaux piliers de sa croissance économique. Le pouvoir de résistance aux transnationales réside dans des gouvernements souverains ou dans les résistances locales. Cette rapide lecture du panorama canadien nous permet de comprendre pourquoi l’ambition de protestation des fonds de pension « éthiques » passe après les considérations économiques.
Des membres du syndicat PSAC -un des actionnaires de Goldcorp-, pourtant bien conscients des violations des droits des populations au Guatemala, avouent avec sincérité : « Dans le contexte actuel de crise économique, nous ne retirerons pas nos investissements ». Les travailleurs canadiens se retrouvent donc indirectement obligés de défendre leurs intérêts au détriment des droits des populations autochtones.
La marge de manœuvre des fonds de pension « responsables » étant limitée, la principale crainte des multinationales est qu’un gouvernement changeant les règles du jeu prenne le pouvoir. Encore faut-il que celui-ci ose résister aux pressions du secteur économique. Le jour de la décision du gouvernement du Guatemala d’accepter la demande de la CIDH de suspendre la mine, l’action de Goldcorp à Toronto (G) n’a perdu que 36 cents. Marlin représente 10% de l’actuelle production totale de la compagnie mais le risque politique n’était pas vraiment important. Preuve en est le changement de cap de Colom quelques jours plus tard et la décision de continuer finalement comme si de rien n’était.
Dans ce contexte et en attendant un gouvernement réellement progressiste, la résistance locale dès l’arrivée de la compagnie semble la seule manière d’empêcher le début d’un projet et la seule garantie d’un respect des droits des populations.
Notes :
1 http://www.paqg.org/
2 Public Service Alliance of Canada (PSAC) Staff Pension Fund, The Ethical funds Company, The First Swedish National Pension Fund and The Fourth Swedish National Pension Fund.
3 www.oncommonground.ca
4 Au cours des 5 dernières années, 31% du capital minier et 81% de toutes les transactions de capitaux y ont été faites.
5 Rapport annuel 2009 de l’Association minière du Canada
6 Idem
7 www.banquegonet.ch
8 http://www.theglobeandmail.com/repo...
9 Idem
10 Rapport annuel 2009 de l’Association minière du Canada
11 Environ 50% de l’investissement canadien en Amérique latine se fait au Mexique, 30% dans les Andes, les 20% restant dans le reste des pays.